Benjamin Batcheff est né le 23 juin 1901 à Harbin en Mandchourie. Il prétendra être né en 1907 mais son apparence physique à ses débuts rend cette date bien improbable. Il émigre en Suisse avec sa mère et sa sœur et connaît une jeunesse difficile. Son destin est transformé lorsqu’il intègre la troupe des Pitoëff qui lui confie le rôle d’Hamlet à Genève.
Dans la troupe de Georges Pitoëff
Avec l’importante communauté juive de Russes blancs réfugiée à Montmartre après la Révolution d’Octobre, Pierre Batcheff participe à la création de La Comédie du Bonheur de Nicolas Evreinoff, mise en scène par Charles Dullin. Avec ses cheveux noirs de jais, ses yeux fiévreux et son allure filiforme, l’acteur démontre une expressivité qui lui fait accéder rapidement aux premiers rôles de cinéma dans Claudine et le Poussin avec Dolly Davis, Princesse Lulu de Donatien et le feuilleton Le Roi de Paris de Charles Maudru. Marcel L’Herbier lui confie le rôle épisodique d’une petite gouape, le médium à demi épileptique Scipion Papiano dans Feu Mathias Pascal d’après Pirandello face à Ivan Mosjoukine et Michel Simon.
Entre avant-garde et mélo populaire
Jusqu’à la fin du muet, Pierre Batcheff est une vedette adulée alternant les jeunes premiers torturés et les bellâtres au charme slave. Il est un officier de l’armée républicaine dans Destinée, un joueur effréné dans Le double Amour de Jean Epstein, un prince ingénu dans Éducation d’un Prince d’Henri Diamant-Berger, un Corse impétueux dans L’Île d’Amour, à nouveau un prince russe dans Le Joueur d’Échecs de Raymond Bernard, Albert de Montcerf dans Monte-Cristo d’Henri Fescourt. Si la préférence de ses choix sont portés vers l’avant-garde avec En Rade d’Alberto Cavalcanti avec Catherine Heslin ou Les deux Timides, adapté de Labiche par René Clair, il tourne aussi pour des raisons alimentaires le film d’aventure La Sirène des Tropiques avec Joséphine Baker ou le mélodrame Vivre avec Elmire Vautier et Bernhard Goetzke. Au sommet de sa carrière, il incarne le général Hoche dans le monumental Napoléon d’Abel Gance.
Le chien andalou
Pendant le tournage de La Sirène des Tropiques, Pierre Batcheff se lie d’amitié avec un jeune assistant espagnol, Luis Buñuel. Le cinéaste débutant vient d’élaborer un court-métrage avec Salvador Dali. Pour trouver le financement, les deux espagnols ont besoin de la caution d’une grande vedette. Batcheff accepte le rôle principal avec enthousiasme. Un Chien andalou, brûlot iconoclaste surréaliste provoque un beau scandale. À la fin de la décennie, il rencontre Denise Piazza, la fille d’un important éditeur d’art. Leur amour fou se concrétise par un mariage en 1930. Le couple écrit des scénarios abstraits avec leurs amis, Jacques et Pierre Prévert. Mais leur projet Émile-Émile est refusé par Pathé-Nathan. Ils défendent des films qu’ils jugent injustement écartés, participent avec Jean-Georges Auriol et Louis Chavance à la création de La Revue du Cinéma, projettent des films dans les prisons et asiles d’aliénés. L’acteur surmonte l’écueil du parlant avec une version sonore du Roi de Paris de Leo Mittler et tourne Les Amants de Minuit, signé Augusto Genina avec Carl Froelich pour la version allemande et Mac Allégret pour la version française.
Avec son épouse Denise
Denise qui sera connue des années plus tard sous le nom de Denise Tual et Pierre Batcheff sont des figures emblématiques des mouvements d’avant-garde, aussi bien du surréalisme auprès de Robert Desnos et Paul Éluard ou des frères Prévert au sein du groupe Lecoudem. Après Le Rebelle avec Suzy Vernon, Pierre Batcheff séjourne en Suisse. Il devient accoutumant de la morphine. Il tourne un film kitch, Baroud de Rex Ingram, nouveau patron des studios Victorine en deux versions. Lorsqu’il avoue à Denise son addiction, elle se sent trahie et lui fait de tels reproches qu’il en vient à s’éclipser. Le 12 avril 1932, Pierre Batcheff se donne la mort par absorption de dose létale de somnifère à l’âge de 30 ans. Le sentiment de culpabilité hantera son épouse Denise toute sa vie. Le cinéma français vient de perdre avec lui une personnalité exceptionnelle.
FILMOGRAPHIE :
Avec Denise Tual
et Jacques Prévert
1924 : Claudine et le Poussin ou Le Temps d'aimer de Marcel Manchez
1924 : Princesse Lulu d’Émile-Bernard Donatien
1925 : Autour d'un berceau de Georges Monca et Maurice Kéroul
1925 : Destinée de Henry Roussell
1925 : Le Brasier ardent d’Ivan Mosjoukine
1925 : Le Double Amour de Jean Epstein
1926 : Feu Mathias Pascal de Marcel L'Herbier
1926 : Le Secret d'une mère de Georges Pallu
1926 : Le Bonheur du jour de Gaston Ravel
1926 : Le Joueur d'échecs de Raymond Bernard
1927 : Éducation de prince d’Henri Diamant-Berger
1927 : En rade d’Alberto Cavalcanti
1927 : Napoléon d’Abel Gance
1927 : La Sirène des tropiques d’Henri Étiévant et Mario Nalpas
1928 : L'Île d'amour de Jean Daurand et Berthe Dagmar
1928 : Monte Cristo d’Henri Fescourt
1928 : Vivre de Robert Boudrioz
1929 : Un chien andalou de Luis Buñuel
1929 : Le Perroquet vert de Jean Milva
1929 : Les Deux Timides de René Clair
1930 : Illusions de Lucien Mayrargue
1930 : Le Roi de Paris (Der König von Paris) de Leo Mittler
1930 : Les Amours de minuit d’Augusto Genina et Marc Allégret
1930 : Café Paradis (Mitternachtsliebe) d’Augusto Genina et Carl Froelich
1931 : Le Rebelle d’Adelqui Migliar, avec Suzy Vernon
1931 : Baroud de Rex Ingram et Alice Terry
1931 : Baroud (Love in Morocco) de Rex Ingram
1932 : Une nuit à Monte-Carlo de Robert Land (mm)
Filmographie de Pierre BATCHEFF